La Faculté de Médecine et de Maïeutique de de l’Université catholique de Lille entretient depuis de très longues années, un fructueux partenariat avec la Fondation Médicale Ad Lucem au Cameroun. Cette institution universitaire de Lille, de renommée mondiale établie, a en son sein un ensemble hospitalo-universitaire et médicalo-social universitaire avec notamment des hôpitaux, des établissements pour des personnes âgées dépendantes, des écoles médicales et paramédicales. Aussi des activités de formation, de recherche et de soins y sont menées et s’imbriquent quotidiennement.

 Mais par-dessus tout, Lille demeure depuis les années 30, le berceau de la Ligue Uni-
versitaire Catholique et Missionnaire devenue en 1932, AD LUCEM, association des laïcs universitaires catholiques et missionnaires. L’ancien archevêque de Lille, Mgr Gerard DEFOIS apporte un témoignage édifiant.

L’histoire et les institutions :

La ligue universitaire catholique naît en 1931, de la ligue missionnaire des étudiants de France, grâce à des étudiants de l’aumônerie de la Ca-tho et de leur aumônier l’abbé Prévost. En 1932 elle deviendra ad lucem : Association des laïcs universitaires catholiques et missionnaires pour susciter, former, et soutenir des laïcs résolus à mettre leur profession au service des missions :

  • S’offrir comme laïcs pour l’extension de l’Église aux dimensions universelles ».

Le cardinal Liénart en est le président et il en a fait un signe d’identité internationale avant tant d’évêques qui se limitaient à leur nation ou aux territoires de la colonisation nationale. Le cardinal a porté jusqu’au bout cette responsabilité et a dû lutter pour lui garder une dimension humanitaire et non susciter une fondation de style congrégation religieuse que désirait réaliser l’abbé Prévost, son aumônier. Mais il tenait aussi à garder une saine distance vis-à-vis de Rome et des œuvres pontificales missionnaires.

Il a voulu soutenir ¨ :

  • un projet de laïcat missionnaire selon son expression alors que les missionnaires étaient traditionnellement des prêtres ou des frères : «Ils veulent, ces laïcs missionnaires, une fois devenus médecins, ingénieurs, avocats, munis d’une profession quelconque aller en Extrême-Orient ou en Afrique non seulement pour gagner leur vie, mais pour aider et multiplier l’action bienfaisante de l’Église soit dans l’enseignement, soit dans les services de charité, soit de toute autre manière, mais surtout en offrant par le rayonnement de leur vie chrétienne un modèle, une leçon pratique de ce qu’apporte l’Évangile à ceux qui peuvent y puiser.»
  • Dépasser les questions de races diverses et prôner une égalité de tous devant Dieu. Ceci est à situer dans les années 35, avec la montée des idées du nazisme.
  •  L’unité de la société humaine dans un contexte pourtant de colonisation. L’unité n’est pas l’uniformité. Voir les débats sur les luttes d’indépendance.
  •  Le respect de la diversité des cultures qui ont chacune à apporter aux autres : « il ne s’agit d’européaniser le monde à notre image, mais christianiser tous les peuples en respectant leur génie propre et les qualités qu’ils possèdent ».

 

 Les laics missionnaires doivent apprendre à servir et non se faire servir.

C’est en 1935 que sera installé le premier Ad Lucem au Sénégal. Louis Paul Aujoulat, docteur en médecine, président de la ligue à Lille effectue un voyage au Cameroun et au Gabon. En mars 1936 il présente un projet de fondation médicale au Cameroun, le cardinal lui confie un mandat ana-logue à celui des laïcs de l’Action Catholique, il part avec son épouse et fonde des dispensaires dont Omvan, Efok (170 lits), Tala, Mvolyé, Makak, il soutient la création d’une école normale catholique à Makak en 1944, et un secrétariat social à Douala.

Le cours des choses sera interrompu par la deuxième guerre mondiale. En 1945 Aujoulat entre dans la vie politique et deviendra par le MRP, plusieurs fois ministre devenant à l’origine d’un projet de loi sur le code du travail outre-mer (1952). Puis il restera conseiller technique au-près du ministre de la santé.

En 1962, il succède à son ami Raoul Follereau dans plusieurs de ses œuvres, notamment à la

Présidence du Comité national d’assistance aux lépreux. Il est par ailleurs responsable au Comité de résistance spirituelle qui dénonce les tortures en Algérie.

  1. Le jumelage :

Cet engagement est lié par le cardinal au diocèse de Lille qui s’est fortement impliqué dans cette démarche de santé et de culture au nom de la présence de l’Église qui prend la forme un corps de plus en plus identifié en Afrique. Le cardinal Liénart a été le premier cardinal à se rendre en Afrique, il y effectue un long voyage du 12 février au 3 mars 1947, consacre un évêque français Pierre Bonneau vicaire apostolique de Douala, précédemment conseiller spirituel d’Ad Lucem au Cameroun, il ordonne des prêtres à Yaoundé, il visite des missions, un hôpital, et pose la première pierre d’un nouveau dispensaire à Bafang. Un prêtre du Nord (Jean Noddings) est envoyé pour fonder au Cameroun la JOC.

Le jumelage – entre deux églises diocésaines-n ’est pas un parrainage venu d’en-haut il est question dit le cardinal d’une véritable « union spirituelle et apostolique ». En septembre 1957 une délégation de jocistes camerounais, revenant de leur congrès mondial de Rome est reçue à Lille. En 1959 un foyer africain est ouvert à Lille pour les étudiants d’Afrique, du Cameroun en particulier, venus suivre les cours de l’université catholique. Des jumelages entre écoles, des troupes de scouts, des délégations diocésaines de secours catholique sont établis.

Depuis l’indépendance du Cameroun en 1960, l’Église locale a pris son essor et sa conférence épiscopale est forte de nombreux évêques, bien formés et soutenus par l’Université catholique de Yaoundé.

Le jumelage, et Ad Lucem au départ ont été portés par le cardinal Liénart. Son successeur Mgr Gand voulut le limiter à Nkongsamba, ne pouvant accompagner un si vaste ensemble. Mgr Zoa, archevêque de Yaoundé disait devoir penser en d’autres termes les collaborations entre les épiscopats et les Églises. Mon prédécesseur, Mgr Vilnet souhaitait à son tour un élargissement à des relations plus globales avec l’Afrique. Pour ma part, si je suis sensible aux questions générales qui nous provoquent les uns et les autres, je tiens en même temps à des rencontres et à des aides entre évêques et entre chrétiens pour le service du plus grand nombre. Ma responsabilité de chancelier de l’Université m’a conduit à recevoir les visites régulières du docteur Théodore Bidjogo Atangana, à visiter plusieurs dispensaires dont j’ai apprécié la qualité d’accueil et de présentation. J’ai fait plusieurs visites au gré d’évènements qui m’ont valu de belles rencontres avec le conseil ad lucem du Cameroun et je crois que mon successeur ne manquerait pas de continuer des relations qui pour être moins officielles qu’autrefois peuvent être fécondes pour les uns et les autres. Le relationnel est parfois plus riche spirituellement que l’institutionnel à la française.

  1. mes audaces :

Je pense que dans le cadre universitaire des relations entre Yaoundé et Lille vous pourriez ouvrir des chantiers interdisciplinaires touchant votre mission compte tenu de l’évolution actuelle des organismes qui servent la santé dans le contexte africain. Il s’agit d’un lieu de réflexion et de projets.

La question démographique en Afrique appelle des formes nouvelles de soins en de multiples domaines : en 1980 l’Afrique représentait 10 % de la population mondiale. Pour 2050, dans trente ans, les Nations Unies annoncent 2,5 milliards d’habitants, atteignant ainsi 25% du total mondial. Quelles conséquences prévoir pour les politiques de la santé. Quelles contributions votre Fondation pourra-t-elle apporter pour éclairer une si nouvelle situation ?

Les Européens ont parfois une vision matérialiste ou « mécaniste » de la vie humaine, la tradition africaine à travers le religieux et le symbolique se révèle plus humaniste, quelles voies de thérapie globale et personnalisée ne pouvons-nous pas explorer ensemble ? (débats sur la PMA ou la gestation pour autrui GPA.)

Vous serez néanmoins concernés par les nouvelles technologies appliquées au vivant, un partage avec les réflexions éthiques dans le centre spécialisé menées ici devrait nous éclairer tous pour l’avenir de la médecine humaine.

L’accompagnement des étudiants africains pour qu’ils acquièrent une formation adaptée à ce qui sera leur terrain d’exercice professionnel leur permettrait de garder le cap sur la médecine en Afrique plutôt que de rester dans un contexte technique européen.

Le jumelage du cardinal était un rêve et une audace, je pense qu’il est un souvenir solide pour faire notre avenir ensemble. Et garder cet humanisme catholique qui met le service de l’homme et de sa santé au premier rang des vertus spirituelles pour faire demain.

Le 29 septembre 2017.

+ Gérard DEFOIS : archevêque émérite de Lille.